17

 

 

La reine possédait tout un pâté de maisons en plein centre de La Nouvelle-Orléans, à trois rues du très coté Quartier français. Ça vous donne une petite idée de l’argent qu’elle brassait. On avait dîné tôt (j’avais bien dû avouer que j’avais une faim de loup), puis Claudine m’avait déposée. Pas devant le palais de la reine, non. À deux rues de distance. Super avec mes hauts talons ! Tout ça à cause de l’affluence touristique à proximité des quartiers de Sa Majesté. Le grand public ignorait que Sophie-Anne Leclerq était reine, naturellement, mais il savait tout de même qu’il s’agissait d’une vampire richissime qui détenait un patrimoine immobilier digne d’une multinationale et réinjectait un sacré paquet de fric dans la communauté. De surcroît, ses gardes du corps étaient pittoresques et bénéficiaient d’un port d’armes spécial au cœur même de la ville. Autant dire que sa résidence figurait sur la liste des hauts lieux touristiques à visiter, de préférence la nuit.

Quoique perpétuellement engorgées par le trafic automobile pendant la journée, la nuit, les rues adjacentes devenaient piétonnes. Les cars de touristes se garaient donc plus loin et les guides entraînaient leurs groupes à leur suite pour passer devant ce monument local. Les visites organisées incluaient nécessairement ce que les guides appelaient « le QG des vampires » dans leur circuit minuté.

Pour Sophie-Anne Leclerq, la sécurité n’était pas un vain mot, et elle tenait à le faire savoir. Le regroupement, au sein d’un seul et même lieu, de ses bureaux, de sa résidence royale et autres dépendances, faisait de ce fameux QG une cible rêvée pour les plastiqueurs fanatiques de la Confrérie du Soleil. Quelques entreprises et commerces tenus par des vampires avaient été attaqués dans d’autres villes, et Sa Majesté n’entendait pas perdre sa (deuxième) vie d’aussi sotte façon.

Les vampires de sa milice étaient donc en faction, et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’ils fichaient drôlement la trouille. Bien que les vampires soient déjà, en eux-mêmes, de véritables armes létales, Sa Majesté avait bien compris que les humains seraient encore plus impressionnés s’ils pouvaient les reconnaître au premier coup d’œil. Non seulement ses gardes étaient armés jusqu’aux dents (et quelles dents !), mais ils étaient équipés, en prime, de toute la panoplie pare-balles dernier cri, assortie à leur uniforme noir.

Claudine avait profité du dîner pour me donner les renseignements dont je risquais d’avoir besoin. Je me sentais donc parfaitement prête. J’avais aussi un peu l’impression de me rendre à la garden-party de la reine d’Angleterre dans mes plus beaux atours. Encore une chance que je n’aie pas à porter de chapeau ! Mais mes hauts talons me paraissaient un choix quelque peu téméraire pour arpenter des rues pavées.

— Regardez ! Voici les quartiers du vampire le plus célèbre et le plus en vue de La Nouvelle-Orléans : Sophie-Anne Leclerq, pérorait un guide touristique à proximité.

Il avait une allure très excentrique, avec son tricorne, sa culotte courte, ses bas blancs et ses souliers à boucle. Comme je m’arrêtais pour l’écouter, son regard s’est aussitôt posé sur moi, et il m’a reluquée de haut en bas, examinant rapidement ma tenue d’un œil expert. Une lueur d’intérêt s’est allumée dans ses yeux.

— Quand on rend visite à Sophie-Anne, on ne peut pas y aller habillé n’importe comment, a-t-il enchaîné à l’intention de son groupe de touristes, en agitant le doigt dans ma direction. Cette jeune femme porte la tenue de rigueur pour un... entretien avec un vampire... l’un des plus importants vampires d’Amérique, a-t-il ajouté avec un sourire entendu, invitant ses auditeurs à goûter pleinement son allusion cinématographique.

En fait, il y avait au moins cinquante autres vampires tout aussi importants que la reine de Louisiane. Peut-être pas aussi en vue, ni aussi haut en couleur que Sophie-Anne Leclerq, certes, mais le grand public l’ignorait, de toute façon.

Loin de se draper dans une atmosphère macabre, le « château » de la reine ressemblait à une sorte de Disneyland version famille Addams, avec ses marchands de souvenirs, ses guides touristiques et ses badauds ébaubis. Il y avait même un photographe ! Comme j’approchais du premier barrage de sécurité, un homme a surgi devant moi pour me prendre en photo. Aveuglée par le flash, je suis restée interdite, à le regarder fixement (à regarder fixement dans la direction où il devait se trouver, du moins). Quand j’ai pu le voir distinctement, j’ai découvert un petit homme à l’allure plutôt négligée et à la mine résolue. Il s’est précipité vers ce qui devait être son point d’observation habituel : le coin de la rue, sur le trottoir d’en face. Il n’a pas essayé de me vendre sa photo, ni même de m’indiquer l’endroit où je pourrais m’en procurer un tirage, et ne m’a donné aucune explication.

Mmm... Tout ça ne me disait rien qui vaille.

Le garde vampire auquel j’ai parlé de l’incident a aussitôt confirmé mes soupçons.

— C’est un espion de la Confrérie, m’a-t-il annoncé en désignant le petit homme du menton, après s’être assuré que mon nom figurait bien sur sa liste.

Le garde était, quant à lui, un robuste gaillard à la peau mate et au nez crochu. Sans doute était-il né, un jour lointain, quelque part du côté du Moyen-Orient. Sur le badge fixé sur son casque par un Velcro, on pouvait lire « Rasul ».

— Il nous est interdit de le tuer, m’a expliqué Rasul en haussant les épaules, comme s’il s’agissait de quelque coutume folklorique un peu ridicule.

Il m’a souri. L’effet produit était un peu perturbant. Son casque noir tombait assez bas et sa jugulaire était de celles qui enveloppent le menton, de sorte que je ne pouvais voir qu’une toute petite partie de son visage. Pour l’heure, cette toute petite partie était pointue, blanche et ressemblait furieusement à des crocs.

— La Confrérie fait photographier tous ceux qui entrent ou sortent d’ici, a-t-il précisé, et je vois mal ce qu’on pourrait y changer, dans la mesure où on veut rester en bons termes avec les humains.

Puisque j’étais sur la liste des invités, Rasul avait présumé, à juste titre, que j’étais une alliée des vampires et me traitait avec une sorte de camaraderie fraternelle que je trouvais reposante.

— J’ai déjà eu quelques démêlés avec la Confrérie, lui ai-je confié discrètement, tandis qu’il me guidait vers l’entrée du palais. Ce serait fâcheux qu’il arrive quelque chose à l’appareil photo de ce monsieur... Cependant, personne n’est à l’abri d’un accident...

Je me sentais bien un peu coupable de demander un tel service à un vampire, au détriment d’un autre être humain. Mais je tenais aussi suffisamment à la vie pour vouloir la garder.

Comme on passait sous un lampadaire, les yeux de Rasul ont semblé accrocher la lumière. Pendant un bref instant, ils se sont mis à luire comme des charbons ardents.

— Bizarrement, ses appareils photo ont déjà connu quelques malencontreux incidents, par le passé, m’a raconté Rasul. À vrai dire, deux d’entre eux se sont retrouvés si sérieusement endommagés qu’ils étaient bons à jeter. Alors, un de plus, un de moins... Je ne vous garantis rien, mais nous ferons notre possible, charmante demoiselle.

— C’est très aimable à vous. En rentrant, j’en parlerai à une sorcière qui sera peut-être en mesure de régler ce petit désagrément pour vous. Peut-être pourrait-elle faire en sorte que tous les clichés soient surexposés, par exemple. Vous devriez la contacter.

— Excellente idée. Voici Mélanie, m’a-t-il annoncé, au moment où on atteignait la porte principale. Je vais vous remettre entre ses mains et retourner à mon poste. Je vous verrai quand vous ressortirez pour que vous me donniez le nom et l’adresse de la sorcière en question ?

— Pas de problème.

— Vous a-t-on déjà dit que vous sentiez merveilleusement bon ? Aussi bon qu’une fée ? m’a-t-il alors demandé.

— Oh ! J’ai passé l’après-midi avec ma bonne fée. C’est sûrement ça. Elle m’a emmenée faire du shopping.

— Et le résultat est superbe, a-t-il affirmé galamment.

— Vil flatteur !

Je n’ai pas pu m’empêcher de lui rendre son sourire. Mon ego avait pris un sacré coup, la veille (mais je ne pensais plus du tout à ça, juré), et si futile que ça puisse paraître, l’admiration du jeune garde était justement ce qu’il me fallait pour me remonter le moral (même si c’était l’odeur de Claudine qui l’avait suscitée).

Malgré son équipement style GIGN, Mélanie avait tout de la petite femme fragile et vulnérable.

— Miam miam ! Vous sentez vraiment comme une fée ! s’est-elle exclamée, avant de consulter sa propre liste. Vous êtes l’humaine Stackhouse ? La reine vous attendait hier soir.

— J’ai été blessée.

Je lui ai montré mon bandage. J’avais forcé sur l’Advil et la douleur se limitait, désormais, à un vague élancement.

— Oui, c’est ce que j’ai cru comprendre. Le nouveau est à la fête, ce soir. On lui a appris tout ce qu’il devait savoir, il a un mentor et un donneur volontaire. Quand il se sentira un peu mieux dans sa nouvelle peau, il pourra peut-être nous dire comment il en est arrivé là.

— Ah, oui ?

Quand je m’étais rendu compte qu’elle parlait de Jake Purifoy, ma voix avait légèrement déraillé.

— Pourquoi ? me suis-je étonnée. Il est possible qu’il ne s’en souvienne pas ?

— S’il s’est fait attaquer par surprise, il peut mettre un certain temps avant de se rappeler ce qui s’est passé. Mais ça reviendra, tôt ou tard. En attendant, il va s’en mettre plein la panse.

Elle s’est esclaffée en voyant mon regard interrogateur.

— Vous savez quoi ? Les humains s’inscrivent pour jouir du privilège de le nourrir, a-t-elle raillé. Quels crétins ! Franchement, où est le plaisir, passé l’excitation de la morsure et la satisfaction du désir ? Non, le véritable plaisir a toujours été dans la traque.

La nouvelle politique des vampires – qui voulait qu’ils ne se nourrissent que de sang de synthèse ou seulement aux dépens d’humains volontaires – n’était pas du tout du goût de Mélanie. L’ancien régime lui manquait (dans tous les sens du terme).

Je m’efforçais de manifester un intérêt poli.

— Si c’est la proie qui fait le premier pas, ce n’est quand même pas pareil ! a-t-elle ronchonné. Ah ! Les gens, de nos jours !

Elle secouait la tête avec un mélange de lassitude et d’exaspération. Du coup, son casque, trop grand pour elle, se balançait en cadence. Je me suis mordu la lèvre pour réprimer un fou rire.

Rasul m’avait escortée jusqu’à l’entrée principale de la propriété royale, un immeuble de deux étages qui datait probablement des années cinquante et occupait tout un pâté de maisons. Comme tout le monde le sait, où qu’ils se trouvent, les vampires se terrent pendant le jour (dans les caves, les sous-sols, les cryptes, etc.). Partout, sauf à La Nouvelle-Orléans. Et pour cause : la ville est construite en dessous du niveau de la mer. Par conséquent, toutes les fenêtres avaient subi un traitement spécial : de grands panneaux de bois les masquaient, des panneaux décorés sur le thème de Mardi gras. Le très sobre bâtiment de brique était donc égayé de motifs roses, violets et verts sur des fonds blancs et noirs. Il y avait même de petites touches scintillantes sur les volets, comme des paillettes de carnaval. Cela produisait un effet assez déconcertant.

— Comment fait la reine, quand elle veut organiser une soirée ?

En dépit de ses volets pailletés, ce gros cube rébarbatif et fonctionnel n’avait franchement rien de festif.

— Oh ! Pour ça, elle possède un vieux monastère, m’a appris Mélanie. Vous pourrez vous procurer une brochure sur le sujet en sortant, si vous voulez. Toutes les réceptions officielles ont lieu là-bas. Certains, parmi les plus vieux d’entre nous, ne peuvent pas pénétrer dans l’ancienne chapelle, mais en dehors de ça... Le décor est absolument superbe. La reine y a des appartements, d’ailleurs. Mais il est beaucoup trop difficile d’assurer sa sécurité là-bas pour qu’elle y vive à l’année.

Je ne voyais pas ce que j’aurais pu lui répondre. De toute façon, je doutais de jamais voir la résidence secondaire de Sa Majesté. Mais Mélanie semblait s’ennuyer et avait manifestement envie de bavarder.

— Hadley était votre cousine, à ce qu’on raconte ?

— Oui.

— Bizarre, quand on y pense, d’avoir des parents encore vivants...

Pendant un instant, elle a eu l’air absente, presque mélancolique – autant qu’un vampire peut l’être, du moins. Puis elle a paru se ressaisir.

— Hadley n’était pas trop mal, pour une si jeune vampire. Mais elle semblait tenir sa longévité pour acquise...

Mélanie a secoué la tête.

— Jamais elle n’aurait dû se mettre à dos un vieux renard comme Waldo.

— Ah, ça, c’est clair !

Mélanie s’est alors détournée pour appeler un de ses confrères :

— Chester !

Chester était le prochain garde sur les rangs. Il était flanqué d’un collègue dont la silhouette, même sous (ce que je commençais à considérer comme) l’uniforme du GIGN, ne me paraissait pas inconnue.

— Bubba ! me suis-je exclamée.

Au même moment, le vampire s’est écrié :

— Mam’zelle Sookie !

On est tombés dans les bras l’un de l’autre, au grand amusement des autres vampires. Déjà, les vampires ne se serrent pas la main. Ça ne fait pas partie de leur culture. Alors, s’enlacer !

Ça m’a rassurée de constater que Bubba n’était pas armé. On l’avait juste déguisé en garde. Ce petit côté militaire lui allait d’ailleurs plutôt bien, et je ne me suis pas gênée pour le lui dire.

— Tu as fière allure en uniforme. Ce noir va très bien avec tes cheveux.

J’ai alors eu droit à ce sourire qui avait fait craquer des millions de femmes à travers le monde.

— Super sympa d’vot’part, m’a-t-il répondu, ravi. Merci beaucoup.

Du temps où il vivait encore le jour, le visage et le sourire de Bubba avaient été célèbres d’un bout à l’autre de la planète. Quand on l’avait amené à la morgue de Memphis, un des assistants qui travaillaient là-bas avait cru détecter en lui une dernière étincelle de vie. Comme il était totalement fan du King et que, de plus, il se trouvait être un vampire, il avait pris sur lui de le ramener à la vie. Et c’est ainsi que naissent les légendes... Malheureusement, le corps du défunt était tellement imbibé de substances en tout genre que la transformation ne s’était pas tout à fait passée comme prévu : le pauvre Bubba ne s’était pas très bien réveillé. Depuis, les vampires se le refilaient comme une patate chaude. Avec ses frasques, toutes plus imprévisibles les unes que les autres, il était devenu le cauchemar de la communauté.

— Ça fait longtemps que tu es ici, Bubba ? lui ai-je demandé.

— Oh ! Une quinzaine de jours. Mais ça m’plaît vachement. C’est cool, y a plein d’chats d’gouttière.

— Bien sûr, ai-je approuvé, en essayant de ne pas me représenter trop concrètement ce qu’il entendait par là.

J’aimais beaucoup les chats. Bubba aussi, crus et bien saignants...

— Si un humain l’aperçoit, il le prend pour un sosie ou un imitateur, a discrètement commenté Chester.

Mélanie était retournée à son poste, et Chester – qui, lui, n’était visiblement qu’un blondinet de la cambrousse aux dents pourries quand il s’était fait vampiriser – avait pris le relais.

— Le plus souvent, ça se passe bien, a-t-il enchaîné. Mais il arrive parfois que quelqu’un l’appelle par son vrai nom ou lui demande une chanson...

Bubba ne chantait plus que très rarement, maintenant. La plupart du temps, il se prétendait incapable de sortir une note et, à la simple mention du nom d’Elvis, devenait brusquement très agité. Cependant, quand on parvenait à l’amadouer suffisamment pour qu’il accepte de pousser la chansonnette, c’était vraiment un événement exceptionnel et, pour les privilégiés qui y assistaient, un moment inoubliable.

Chester m’a entraînée à l’intérieur du bâtiment, et Bubba nous a suivis comme un petit chien. On a bifurqué, monté un étage et rencontré, chemin faisant, de plus en plus de vampires (et quelques humains) qui semblaient tous se diriger vers un objectif précis avec un air très affairé. Il régnait ici la même agitation que dans n’importe quel immeuble de bureaux, un jour de semaine. Tout en marchant, j’ai remarqué que certains vampires semblaient plus à l’aise que d’autres. J’ai aussi remarqué que ces derniers portaient tous le même insigne agrafé au col : un pin’s de l’Arkansas. Ces vampires devaient donc faire partie de la suite de l’époux royal, Peter Threadgill. Comme je passais devant eux, un vampire de Louisiane a heurté un vampire de l’Arkansas. Le second s’est alors mis à grogner avec une telle agressivité que, pendant un quart de seconde, j’ai bien cru qu’une bagarre allait éclater.

Hou ! la la ! Je serai drôlement contente quand je serai sortie d’ici, moi ! C’est exactement ce que j’ai pensé, tant l’atmosphère était tendue.

Chester s’est brusquement arrêté devant une porte, qui ne semblait différer en rien des autres, en dehors des deux colosses qui la gardaient. De leur temps, ces deux-là, avec leurs deux mètres et des brouettes, avaient dû passer pour des géants. On aurait pu les prendre pour des frères : ils avaient tous deux les cheveux châtains et une mine assez patibulaire. Carrure de déménageur, barbe, queue-de-cheval qui leur balayait le dos : du premier choix pour le circuit professionnel des combats de catch. L’un avait une énorme cicatrice qui lui barrait le visage, l’autre avait dû souffrir d’une grave maladie de peau dans sa première vie. Et ces charmants jeunes gens n’étaient pas simplement là pour le décorum : en les voyant, on avait tout bonnement l’impression de regarder la mort en face.

Ces deux vampires-là semblaient spécialisés dans l’arme blanche. Ils en étaient littéralement bardés, et de toutes sortes, dont une hache qu’ils portaient à la ceinture (ils avaient dû comprendre que si un intrus malintentionné réussissait à parvenir jusqu’ici, ce n’était pas un malheureux flingue qui ferait la différence). Mais leur propre corps était encore leur meilleure arme.

— Bert, Bert, a dit Chester avec un petit hochement de tête pour chacun. Voici l’humaine Stackhouse. La reine l’attend.

Il a pivoté sur lui-même et s’est éloigné, Bubba sur ses talons, me laissant seule avec les deux barbares qui faisaient office de gardes du corps de Sa Très Gracieuse Majesté, la reine des vampires de Louisiane.

Hurler ne me semblant pas une très bonne idée, j’ai opté pour :

— Je n’arrive pas à croire que vous ayez le même nom. Chester a sûrement dû se tromper.

Deux paires d’yeux marron ont rivé sur moi leur regard un rien figé.

— Moi, Sigebert, m’a répondu le balafré, avec un accent à couper au couteau que j’étais incapable d’identifier.

Il avait prononcé « Zigueuberte ». De toute évidence, Chester avait utilisé une version très américanisée de son véritable nom, sans doute extrêmement ancien.

— Lui, mon frère, Wybert.

J’ai entendu « Vaïberte ».

— Enchantée, ai-je dit, en essayant de garder une mine impassible. Je suis Sookie Stackhouse.

Ça n’a pas eu l’air de les impressionner beaucoup. C’est alors qu’on a poussé la porte qu’ils gardaient. Une vampire à pin’s s’est faufilée entre eux, les toisant au passage avec un mépris à peine voilé. L’atmosphère est soudain devenue irrespirable. Sigebert et Wybert ont suivi des yeux la grande brune au tailleur de parfaite femme d’affaires jusqu’à ce qu’elle ait disparu à l’angle du couloir. Puis ils ont reporté leur attention sur moi.

— La reine... occubée, m’a annoncé Wybert. Quand elle feut fous tetans, la lumièreu, elle brille.

Il me montrait un petit voyant rond encastré dans le mur à droite de la porte. J’étais donc coincée là jusqu’à ce que «la lumièreu, elle brille ». Alors, autant leur faire la conversation...

— Est-ce que vos noms veulent dire quelque chose ? J’imagine que c’est... euh... du vieil anglais ?

Déjà, ma voix déraillait dans les aigus.

— Nous Zaxons, m’a expliqué Wybert. Notre bèreu venu de Guermanie – Alleumagneu, auchourd’hui – en Angleterreu. Nom moi feux direu « pelleu pataille ».

— Et nom moi, « pelleu fictoire », a ajouté Sigebert.

Je me suis alors souvenue d’une émission sur History Channel. Les Saxons étaient devenus les Anglo-Saxons et avaient ensuite été écrasés par les Normands.

— On vous a donc élevés pour devenir des guerriers, ai-je repris.

Échange de regards entre mes interlocuteurs.

— Si pas guerriers, rien, m’a expliqué Sigebert.

Le bas de sa cicatrice remuait quand il parlait, et je faisais de mon mieux pour ne pas la regarder.

— Nous, fils te chef te guerre.

J’aurais eu des centaines de questions à leur poser sur leur vie d’avant, à l’époque lointaine où ils étaient encore humains, mais, curieusement, tels qu’on était là, plantés au beau milieu du couloir, dans un immeuble de bureaux, en pleine nuit, les circonstances ne me paraissaient pas idéales.

— Comment se fait-il que vous soyez devenus des vampires ? leur ai-je donc demandé, faute de mieux. À moins que ce ne soit une question indiscrète... Je ne voudrais pas mettre les pieds dans le plat.

Sigebert s’est empressé de regarder par terre, manifestement à la recherche dudit plat. J’en ai déduit que l’anglais familier n’était peut-être pas son fort.

— Zette femmeu... drès pelleu... elle fient foir nous la nuit afant pataille, m’a raconté Wybert, avec ce débit haché et ce terrible accent heurté qui rendaient son discours pratiquement incompréhensible. Elle dit... nous plus forts si elle... à nous.

Ils m’ont tous les deux jeté un coup d’œil interrogateur. J’ai hoché la tête pour leur signifier que j’avais compris : la belle vampire leur avait laissé entendre qu’elle les voulait dans son lit. Elle ne manquait assurément pas d’audace, ni de tempérament, pour faire preuve d’un tel appétit, la belle de nuit. Car il en fallait pour prétendre se charger de ces deux gaillards-là en même temps...

— Elle pas dire nous compattre touchours la nuit après, a précisé Sigebert, en haussant les épaules comme pour dire qu’un petit détail leur avait échappé. Nous pas poser queztions. Nous trop prezzés !

Et il a souri. Argh ! Difficile de faire plus effrayant qu’un vampire auquel il ne reste plus que deux dents. Et pas n’importe lesquelles : les bonnes ! Certes, Sigebert en avait peut-être d’autres au fond (j’étais trop petite pour voir), mais même les chicots de Chester étaient superbes, en comparaison.

— Ça doit faire une paye que ça s’est passé, ai-je commenté, incapable de trouver plus inspiré. Depuis combien de temps travaillez-vous pour la reine ?

Sigebert et Wybert se sont de nouveau regardés.

— Depuis zette nuit-là, m’a répondu Wybert, apparemment ahuri que je n’aie pas compris. Nous à elle touchours.

Mon estime pour la reine – et peut-être la crainte qu’elle m’inspirait – est encore montée d’un cran. Sophie-Anne n’avait manqué ni de bravoure ni d’habileté, au cours de sa longue carrière de vampire. Elle avait vampirisé les deux Saxons et les avait retenus auprès d’elle par ce lien parrain-filleul qui, comme me l’avait expliqué celui-dont-je-ne-voulais-plus-prononcer-le-nom-même-en-pensée, était plus fort que n’importe quel attachement de quelque nature que ce soit, pour un vampire.

A mon grand soulagement, le voyant du couloir est passé au vert.

— Vous aller, m’a ordonné Sigebert en poussant la lourde porte capitonnée.

Les deux gorilles m’ont alors saluée d’un même hochement de tête solennel, et j’ai franchi le seuil. La pièce dans laquelle je suis entrée ressemblait à n’importe quel bureau de cadre supérieur du privé.

Sophie-Anne Leclerq, reine de Louisiane, était assise avec un autre vampire à une grande table ronde envahie de papiers. J’avais déjà eu l’occasion de rencontrer la reine, quand elle était venue chez moi m’annoncer le décès de ma cousine. Je n’avais pas remarqué, alors, à quel point elle était jeune lorsque la mort l’avait frappée : quinze ans, peut-être. Elle n’en était pas moins, à présent, une femme élégante. Elle faisait une dizaine de centimètres de moins que moi et était pomponnée jusqu’au bout des cils : maquillage, toilette, coiffure, chaussures, bijoux... la totale.

Le vampire qui se tenait à ses côtés portait un costume qui aurait pu payer ma facture du câble pendant un an, et il était tellement coiffé, rasé, manucuré et parfumé qu’on en venait à se demander s’il s’agissait encore d’un mec. À Bon Temps, je n’avais pas souvent l’occasion de voir de tels dandys.

Il y avait deux autres personnes dans la pièce. Un petit blond aux cheveux très courts et aux yeux bleus très clairs se tenait bien campé sur ses deux jambes, les bras croisés, à environ un mètre derrière le fauteuil de la reine. Son visage avait quelque chose d’enfantin, mais il avait une carrure d’adulte. Il ressemblait à un môme qui aurait grandi trop vite. Il portait un costume, lui aussi, et était armé d’un sabre et d’un pistolet.

Derrière le roi se tenait une vampire tout de rouge vêtue (pantalon, tee-shirt, tennis). Cette préférence marquée se révélait, d’ailleurs, plutôt malheureuse, vu que cette couleur ne lui allait pas du tout. C’était une Asiatique, peut-être d’origine vietnamienne (quoique cette région ne se soit sans doute pas appelée comme ça à l’époque de sa mort). Elle avait des ongles très courts, dénués de vernis, et une terrifiante épée sanglée dans le dos. Ses cheveux semblaient avoir été coupés au niveau du menton avec une paire de ciseaux particulièrement rouillés. Son visage, sans artifices, était celui que Dieu lui avait donné.

Comme j’ignorais les subtilités du protocole, je me suis contentée de courber la tête devant Sa Majesté.

— Ravie de vous revoir, madame, lui ai-je dit, avant de tourner vers le roi un regard que j’espérais aimable et de répéter les mêmes salamalecs.

Les deux plantons – sans doute des sortes d’aides de camp – ont, quant à eux, eu droit à de simples hochements de tête. Je me suis sentie un peu bête en les saluant, mais je ne voulais pas non plus les ignorer complètement. Eux, en revanche, après m’avoir détaillée des pieds à la tête d’un regard assez menaçant pour me servir d’avertissement, ne se sont pas embarrassés de ce genre de politesse.

— Vous avez eu quelques petites mésaventures dans notre belle cité, m’a lancé la reine en guise de préambule.

Elle ne souriait pas. Elle ne devait pas être très souriante, comme fille, de toute façon.

— Oui, madame.

— Ah ! Sookie, voici mon mari : Peter Threadgill, roi de l’Arkansas.

Pas la moindre trace d’affection, ni dans la voix ni dans l’expression du visage. Elle aurait tout aussi bien pu me présenter son perroquet.

— Enchantée, ai-je bredouillé en réitérant mes courbettes.

J’ai, néanmoins, ajouté un «monsieur » de dernière minute – un peu précipité, peut-être. J’en avais déjà plein le dos de ces simagrées.

— Mademoiselle Stackhouse, a fait le roi en guise de salut, tout en continuant à consulter les feuilles posées devant lui.

La table avait beau être grande, elle n’en croulait pas moins sous les courriers, les dossiers, les listings informatiques et tout un tas d’autres documents (des factures ? Des relevés de banque ?).

Tandis que son mari gardait le nez plongé dans ses papiers, la reine a commencé à me questionner sur la nuit agitée que je venais de passer. Je la lui ai relatée aussi précisément que possible. Quand je lui ai parlé du sort de stase magique d’Amélia et de l’effet qu’il avait eu sur le cadavre du placard, j’ai eu l’impression qu’elle redoublait d’attention.

— Vous ne croyez pas que la sorcière aurait pu être au courant de la présence du corps lorsqu’elle a jeté ce sort ? a demandé Sa Majesté.

Quoique le regard du roi n’ait pas quitté les documents posés devant lui, j’avais remarqué qu’il n’en avait pas touché un seul depuis le début de l’entretien. Mais peut-être lisait-il très lentement...

— Non, madame. Je sais qu’Amélia n’était pas au courant.

— Grâce à vos pouvoirs télépathiques ?

— Oui, madame.

C’est alors que Peter Threadgill m’a regardée. Il avait des yeux étranges, d’un gris acier qui vous glaçait, et un visage très anguleux : nez en lame de couteau, lèvres fines et hautes pommettes saillantes.

Le roi et la reine étaient tous les deux séduisants, mais leur genre de beauté me laissait froide. Apparemment, la réciproque était vraie. Dieu soit loué !

— Vous êtes donc la télépathe que ma chère Sophie veut convier au sommet, a déclaré Peter Threadgill d’une voix monocorde.

Comme il ne m’annonçait là rien de nouveau, je ne me suis pas sentie obligée de lui répondre. Et puis, sa façon de me parler m’agaçait. Mais mes bonnes manières l’ont emporté.

— Oui, c’est moi.

— Stan en a un, a dit la reine à son mari, comme si les vampires collectionnaient les télépathes à la manière dont les amateurs de chiens de race collectionnent les épagneuls anglais.

Le seul Stan que je connaissais était un vampire haut placé de Dallas et, comme par hasard, le seul autre télépathe que je connaissais vivait à... Dallas. Ces quelques mots de la reine me laissaient à penser que la vie de Barry le groom avait beaucoup changé depuis que je l’avais rencontré. Apparemment, il travaillait désormais pour Stan Davis. J’ignorais si Stan était shérif ou même roi du Texas, pour la bonne raison qu’à l’époque, je n’étais pas encore au courant de l’organisation hiérarchique des vampires.

— Ainsi, vous prenez exemple sur Stan pour choisir votre entourage ? a répliqué Peter Threadgill d’un ton qui m’a paru légèrement ironique.

D’après les nombreux indices qu’on m’avait aimablement fournis, j’avais parfaitement compris qu’il ne s’agissait pas d’un mariage d’amour. Et, si vous voulez mon avis, le sexe n’avait pas grand-chose à voir là-dedans non plus. Je savais que le désir avait joué un grand rôle dans la relation que la reine avait entretenue avec ma cousine Hadley, et les deux gorilles jumeaux m’avaient laissé entendre qu’elle les avait fait grimper aux rideaux. Cependant, Peter Threadgill ne ressemblait ni aux Saxons ni à Hadley. Cela dit, peut-être la reine avait-elle des goûts très variés et son choix de Threadgill comme époux ne faisait-il que prouver son omnisexualité... Ça se dit, «omnisexuel » ? Il faudra que je vérifie dans le dico en rentrant. Si je rentre un jour...

J’en étais à ce point de mes réflexions quand la reine a enfin répondu à la pique que venait de lui envoyer son cher et tendre époux.

— Si Stan emploie ce genre de personne, c’est, je présume, qu’il y trouve quelque avantage. Et si Stan y trouve un avantage, ce devrait être aussi le cas pour moi. Et puis, je ne vais pas me priver d’essayer, alors qu’il est si facile de se procurer un télépathe.

Ben voyons ! Puisqu’elle m’avait en stock.

Le roi a haussé les épaules. J’étais déçue : j’avais imaginé le roi d’un État comme l’Arkansas (certes pauvre, mais si beau avec ses impressionnants paysages) moins snob, plus près des gens et doté d’un minimum d’humour.

— Donc, que pensez-vous qu’il se soit passé exactement dans l’appartement de Hadley ? m’a demandé la reine.

J’ai brusquement réalisé qu’on en revenait à nos moutons.

— Tout ce que je sais, c’est que, avant la disparition de Hadley, le corps exsangue de Jake a atterri dans son placard. Quant à savoir comment il est arrivé là, je n’en ai pas la moindre idée, lui ai-je avoué. C’est bien pour ça qu’Amélia entreprend cet ecto-truc ce soir.

J’ai vu la reine changer de visage : tous ses traits exprimaient subitement le plus vif intérêt.

— Elle va entreprendre une reconstitution ectoplasmique ? J’en ai entendu parler, mais je n’en ai jamais vu.

Quant au roi, il avait l’air plus qu’intéressé. En fait, pendant une fraction de seconde, j’ai bien cru qu’il allait exploser : il semblait fou de rage. Je me suis efforcée de concentrer toute mon attention sur la reine.

— Amélia se demandait d’ailleurs si vous accepteriez de... euh... financer l’opération.

Je me suis demandé si je n’aurais pas dû ajouter un «Votre Majesté », mais je ne parvenais tout simplement pas à m’y résoudre.

— Lorsque l’on songe aux graves ennuis que notre nouveau frère aurait pu nous causer, si jamais il avait été lâché parmi la populace, c’est la moindre des choses. Je serais heureuse de prendre en charge les frais de cette reconstitution.

Je prenais une profonde inspiration pour pousser un soupir de soulagement quand la reine a cru bon d’ajouter :

— Et d’y assister.

Oh, non ! En présence de la reine, Amélia risquait de perdre tous ses moyens. Cependant, je me voyais mal dire à Sophie-Anne qu’elle ne serait pas la bienvenue.

Quant à Peter Threadgill, à ces mots, il a brusque ment tourné la tête pour darder sur elle un regard aussi tranchant que l’acier de ses prunelles.

— Je ne pense pas que ce soit très raisonnable, lui a-t-il fait remarquer – sa voix était douce, mais son ton autoritaire. Il serait par trop malaisé pour les jumeaux et pour André de vous protéger en ville, surtout dans un tel quartier.

Je me demandais comment le roi de l’Arkansas pouvait avoir la moindre idée de ce à quoi ressemblait le quartier où avait vécu Hadley. En fait, c’était un quartier résidentiel assez bourgeois et plutôt calme, surtout quand on le comparait au QG des vampires : un vrai zoo, avec ses flots de touristes, ses gardes et ses fanatiques armés d’appareils photo.

Mais, déjà, Sophie-Anne se préparait à sortir, vérifiait dans le miroir que son apparence sans défaut était toujours aussi parfaite et enfilait ses chaussures à talons vertigineux restées sous la table. Ainsi, Sa Très Gracieuse Majesté présidait à ses royales affaires pieds nus... Ce petit détail a suffi à me la rendre soudain plus proche. Il y avait donc une véritable personne sous cette perfection de papier glacé.

— Vous aimeriez que Bill nous accompagne, je suppose, a-t-elle déclaré.

— Non !

D’accord. Il y avait bel et bien une personne sous le vernis, et cette personne était désagréable et cruelle.

Mais la reine avait l’air réellement stupéfaite. Quant à son mari, il était visiblement outré par ma conduite. Il avait relevé la tête avec la vivacité du cobra et avait fixé sur moi ses étranges yeux gris, des yeux étincelants de colère. Sophie-Anne semblait juste un peu prise de court par la violence de ma réaction.

— Je pensais que vous étiez ensemble, s’est-elle étonnée d’une voix égale.

J’ai ravalé la repartie que j’avais sur le bout de la langue. Il ne fallait tout de même pas que j’oublie à qui je parlais.

— Non, plus maintenant. Pardon d’avoir été aussi brusque. Je vous prie de m’en excuser.

La reine m’a dévisagée quelques secondes sans mot dire. J’ai soutenu son regard. Impossible de deviner ce qu’elle pensait, ce qu’elle ressentait ou ce qu’elle avait l’intention de faire. C’était comme regarder un beau plateau d’argent ancien chez un antiquaire : une surface brillante et lisse, une forme et des motifs élaborés, et un contact dur et glacé. Comment Hadley avait-elle pu pousser la témérité jusqu’à coucher avec cette femme ? Ça me dépassait.

Le verdict est finalement tombé.

— Vous êtes pardonnée.

— Vous êtes trop clémente, lui a alors reproché son époux.

La façade du monarque commençait à se lézarder : sa bouche s’était crispée en une grimace qui ressemblait à celle d’un molosse près de mordre, et je me suis vite rendu compte que je n’avais aucune envie de demeurer une seconde de plus le point de mire de ces yeux étincelants. Je n’aimais pas non plus la façon dont l’Asiatique me reluquait. Et chaque fois que je voyais sa coupe de cheveux, ça me filait les jetons. Seigneur ! Quel massacre ! Même la vieille dame qui venait faire les permanentes de Granny autrefois s’en serait mieux tirée.

— Je serai de retour dans une heure ou deux, Peter, a lancé Sophie-Anne d’un ton à fendre un diamant.

Toujours aussi impassible, le petit blond au visage d’enfant avait déjà bondi à ses côtés pour lui offrir son bras. Ce devait être André.

L’ambiance était glaciale. J’aurais donné n’importe quoi pour être ailleurs.

— Je serais plus rassuré si Fleur de Jade vous accompagnait, a suggéré le roi en désignant d’un geste la femme en rouge.

— Mais vous vous retrouveriez seul, lui a alors fait observer la reine.

— Seul ? Allons ! Ces murs grouillent de gardes et de fidèles vampires, a rétorqué Peter Threadgill.

D’accord. Même moi, j’avais compris. Les gardes, qui étaient au service de la reine, ne faisaient pas partie des « fidèles vampires » – ceux que Peter avait amenés avec lui, probablement.

— Dans ce cas, je serai fière d’avoir à mes côtés une fine lame comme Fleur de Jade.

Je ne savais pas si la reine était sérieuse, si elle essayait de calmer son époux en acceptant son offre ou si elle raillait intérieurement sa pitoyable tactique pour s’assurer que son espionne attitrée assisterait à la reconstitution.

— Doublez la garde de Purifoy, a-t-elle alors ordonné dans l’Interphone. Et prévenez-moi dès qu’il se souvient de quelque chose.

Une voix obséquieuse s’est empressée d’assurer à Sa Majesté qu’elle en serait la première informée.

Je me suis demandé pourquoi Jake avait besoin d’une surveillance renforcée. Cependant, contrairement à la reine, j’avoue que j’avais du mal à me sentir sincèrement concernée par le sort d’un vampire qui avait quand même failli m’arracher le bras.

On est donc partis, la reine, Fleur de Jade, André, Sigebert, Wybert et moi. Je m’étais sans doute déjà trouvée en plus étrange compagnie, mais j’aurais été bien incapable de vous dire quand. Après un dédale de couloirs parcourus au pas de charge, on est arrivés dans un garage placé sous bonne garde, et tout ce petit monde s’est engouffré dans une limousine à rallonge. D’un geste impérieux, André a ordonné à l’un des gardes de prendre le volant. J’en venais à me demander si le vampire à tête d’enfant avait une langue : je n’avais pas encore entendu le son de sa voix. À mon grand soulagement, le conducteur désigné n’était autre que Rasul. Une vieille connaissance, en quelque sorte – à côté des autres, du moins.

Sigebert et Wybert ne semblaient pas très à l’aise en voiture. Jamais je n’avais rencontré de vampires aussi coincés. Je me demandais même si leur étroite association avec la reine n’avait pas causé leur perte : ils n’avaient pas eu besoin de s’adapter. Or, pour un vampire, évoluer avec son temps a toujours été une question de survie. Les deux vampires auraient été parfaitement à l’aise et beaucoup plus heureux, sans doute, avec des peaux de bêtes sur le dos et de frustes bottes de daim aux pieds. Il ne leur aurait plus manqué qu’un bouclier au bras et une masse dans la main pour être tout à fait dans leur élément.

— Votre shérif, Éric, est venu s’entretenir avec moi, la nuit dernière, a soudain déclaré la reine.

Vu les circonstances, je n’ai pas jugé nécessaire de faire remarquer à Sa Majesté qu’Éric n’était pas « mon » shérif.

— Il m’a rendu visite à l’hôpital, lui ai-je répondu, en m’efforçant d’imiter son ton dégagé.

— Vous comprenez bien que notre nouveau vampire, l’ex-lycanthrope... Il n’avait pas le choix, vous savez. Vous comprenez cela, n’est-ce pas ?

— C’est un argument auquel j’ai souvent eu droit, avec les vampires.

Je repensais à toutes ces fois où Bill s’était justifié en invoquant cette même excuse : il n’avait pas pu s’en empêcher. Je l’avais cru, à l’époque. Aujourd’hui, j’y aurais réfléchi à deux fois avant de lui accorder ma confiance. À cause de lui, j’étais si affreusement malheureuse que je n’avais plus le cœur à rien, encore moins à vider l’appartement de Hadley. Trier, ranger, régler ses affaires... Tout ça me paraissait insurmontable. Cependant, je savais que si je rentrais maintenant à Bon Temps, en laissant un truc en plan derrière moi, j’allais m’accabler de reproches et me morfondre toute seule dans mon coin. Si c’était pour rester assise, les yeux dans le vide, à broyer du noir, autant rester ici.

Je ne me suis jamais fait beaucoup d’illusions. Quand on lit dans les pensées, on sait que même les meilleurs sont capables du pire. Mais celle-là, j’avoue que je ne l’avais pas vue venir !

À ma grande honte, j’ai senti mes joues se mouiller de larmes. J’ai précipitamment ouvert ma pochette pour sortir un Kleenex. Tous les vampires me regardaient, y compris Fleur de Jade avec son visage figé de poupée de porcelaine aux yeux bridés. Jamais il ne m’avait paru aussi expressif, pourtant. Expression on ne peut plus facile à déchiffrer, d’ailleurs : dans ses prunelles noires se lisait le plus profond mépris.

— Vous souffrez ? a demandé la reine en désignant mon bras.

Elle s’en moquait éperdument, à mon avis. Mais elle avait dû si bien étudier le comportement humain et si longtemps s’entraîner à simuler la réaction voulue que c’était devenu un réflexe.

— Peine de cœur, me suis-je entendue avouer.

Je me serais giflée.

— Oh ! Bill ?

— Oui, ai-je soufflé, un sanglot dans la voix.

Je luttais pourtant pour refouler mes larmes. Je ne suis pas de celles qui aiment se donner en spectacle.

— J’ai pleuré Hadley.

Confession pour le moins inattendue.

— C’est bien qu’elle ait eu quelqu’un pour penser à elle.

Et, après une petite minute de réflexion, j’ai ajouté :

— J’aurais bien aimé savoir plus tôt qu’elle était morte...

C’est vrai, elle avait quand même mis des semaines avant de me prévenir du décès de ma cousine.

— Si j’ai attendu pour dépêcher maître Cataliades auprès de vous, c’est que j’avais de bonnes raisons pour cela, a répliqué Sophie-Anne.

Elle présentait toujours ce même visage lisse, ces mêmes yeux limpides d’une clarté cristalline, aussi impénétrables qu’un mur de glace. J’ai pourtant eu la très nette impression qu’elle aurait préféré éviter le sujet. J’ai hasardé un regard interrogateur. Elle a alors jeté un imperceptible coup d’œil vers sa voisine de droite. Comment Fleur de Jade faisait-elle pour demeurer assise dans cette pose nonchalante avec une longue épée sanglée dans le dos, ça, je l’ignorais. En revanche, j’avais la certitude que, derrière son masque impavide, l’Asiatique ne perdait pas une miette de notre conversation.

Deux précautions valant mieux qu’une, j’ai décidé de ne plus rien dire du tout. Le reste du trajet s’est donc déroulé dans le silence le plus complet.

Rasul se refusait manifestement à entrer avec la limousine dans la cour intérieure – je me suis d’ailleurs souvenue que Diantha s’était garée dans la rue, elle aussi. Il est sorti pour tenir la portière à la reine, mais c’est André qui est descendu le premier. Le petit blond a scruté les environs un long moment, avant de faire signe à Sa Majesté qu’elle pouvait s’aventurer au-dehors en toute sécurité. Arme au poing, Rasul montait la garde, balayant les alentours d’un coup d’œil circulaire. André se montrait tout aussi vigilant.

Fleur de Jade s’est glissée comme un serpent hors du véhicule et est venue ajouter son regard acéré à ceux qui surveillaient déjà les lieux. Tous trois se sont, d’un même pas, faufilés dans la cour, entourant la reine pour lui faire un rempart de leur corps. Ça a ensuite été au tour de Sigebert de s’extraire de la limo. Il m’a attendue, sa hache à la main. Wybert nous a rejoints sur le trottoir, et c’est flanquée des deux barbares que j’ai franchi le porche. Quoique non dépourvue d’un certain panache, mon escorte n’avait pas la solennité de celle de Sa Majesté.

Je n’avais vu la reine que dans ma propre maison, sans autre garde du corps que Cataliades, et dans son bureau, avec une seule personne pour la défendre : je crois que je ne m’étais encore jamais rendu compte, jusqu’alors, des menaces qui pesaient sur elle. Sophie-Anne était certes reine, mais son pouvoir devait être bien fragile pour qu’elle s’entoure d’un tel luxe de précautions. De qui tous ces gardes la protégeaient-ils ? Qui en voulait à la vie de la reine de Louisiane ? Mais peut-être tous les monarques – tous les dirigeants, même – de la communauté des vampires étaient-ils ainsi constamment menacés... Vu sous cet angle, le prochain sommet des vampires m’a soudain paru une affaire bien plus dangereuse que je ne l’avais envisagé.

La cour était bien éclairée, et Amélia se tenait devant l’immeuble, entourée de ses trois acolytes. Pour votre information, aucun des trois ne ressemblait à une vieillarde racornie montée sur un manche à balai. Le seul homme du trio était un petit jeune qui avait tout du missionnaire mormon : pantalon noir, chemise blanche, chaussures noires bien cirées. On aurait dit un gamin. A croire qu’il n’avait pas encore achevé sa croissance. La grande femme qui se trouvait à côté de lui devait avoir la soixantaine bien sonnée, mais n’en avait pas moins conservé un corps d’athlète – elle portait d’ailleurs un tee-shirt et un pantalon de jersey moulants visiblement destinés à le mettre en valeur. Des sandales et une paire d’énormes créoles parachevaient le tableau. La troisième sorcière avait à peu près mon âge – la vingtaine bien tassée – et était de type hispanique. Avec ses joues pleines, ses lèvres pulpeuses rouge vif, sa cascade de cheveux noirs et ses courbes généreuses, plus sinueuses qu’un slalom géant, elle avait manifestement tapé dans l’œil de Sigebert (vu les regards lubriques qu’il lui lançait, ce n’était pas difficile à deviner). Mais elle l’ignorait souverainement, comme tous les autres vampires, d’ailleurs.

Si Amélia avait été un peu dépassée par ce brusque débarquement de vampires, elle n’en laissait rien paraître.

— Votre Majesté, a-t-elle dit, voici mes collègues.

Elle a désigné les intéressés d’un ample geste de la main, tel un représentant du Salon de l’auto vantant son dernier modèle au public massé devant son stand.

— Bob Jessup, Patsy Sellers et Terencia Rodriguez – mais on l’appelle Terry.

Les trois sorciers se sont consultés du regard avant de saluer la reine d’un petit hochement de tête protocolaire. Avec son visage de statue, impossible de dire comment Sa Majesté prenait ce flagrant manque de déférence. Elle a cependant coupé court au suspense en répondant à leur salut. L’atmosphère est redevenue respirable.

— Nous nous préparions justement pour la reconstitution, a annoncé Amélia.

Elle avait l’air parfaitement sûre d’elle, mais j’ai remarqué que ses mains tremblaient. Et ses pensées étaient loin d’être aussi assurées que sa voix. Dans sa tête, elle était en train de passer en revue tous les préparatifs qu’ils avaient effectués, inventoriant fébrilement le matériel magique qu’elle avait réuni, jaugeant de nouveau avec anxiété ses compagnons pour s’assurer qu’ils étaient bien à la hauteur de la tâche, etc. Amélia, comme je le constatais avec un peu de retard, était une perfectionniste.

Je me suis demandé où était passée Claudine. Peut-être était-elle rentrée chez elle. À moins qu’en voyant les vampires arriver, elle ne se soit prudemment réfugiée dans quelque coin sombre. Tandis que je la cherchais des yeux, une douleur indicible a fondu sur moi sans crier gare et m’a déchiré le cœur. Elle me guettait, embusquée, tel un fauve affamé. J’avais déjà connu ça quand j’avais perdu ma grand-mère : j’étais en train de faire quelque chose de banal – me brosser les dents, par exemple –, et tout à coup, le désespoir me tombait dessus, un gouffre s’ouvrait sous mes pieds, et je plongeais dans les ténèbres.

Ça allait être comme ça pendant quelque temps. Il ne me restait plus qu’à serrer les dents en attendant que ça passe.

Je me suis forcée à reprendre contact avec la réalité en examinant ceux qui m’entouraient. Les sorcières et leur jeune confrère avaient pris position. Ce dernier s’était installé sur une chaise de jardin, dans la cour. Comme il prélevait un peu de poudre dans des petits sacs et sortait une boîte d’allumettes de la poche de poitrine de sa chemise, j’ai senti qu’une infime étincelle d’intérêt s’allumait dans mes prunelles (je tenais le bon bout). Amélia a alors gravi les marches quatre à quatre pour gagner l’appartement de ma cousine. Terry s’est postée au milieu de l’escalier, tandis que la plus âgée des sorcières, Patsy, nous surveillait du balcon, où elle avait déjà pris place.

— Si vous voulez tout voir, le mieux serait sans doute que vous vous installiez ici, nous a lancé Amélia du haut des marches.

Suivant son conseil, la reine et moi sommes aussitôt montées au premier. Les gardes se sont regroupés près du porche, aussi loin que possible du périmètre d’action de la magie. Même Fleur de Jade, bien qu’elle dût mépriser les sorciers, semblait respecter le pouvoir qu’ils s’apprêtaient à invoquer.

Comme on aurait pu s’en douter, André a emboîté le pas à Sa Majesté. Il m’a cependant semblé deviner, à ses épaules voûtées, qu’il le faisait avec un certain manque d’enthousiasme...

Ma technique antistress – me concentrer sur ce qui se passait autour de moi au lieu de ruminer mes malheurs – réussissant assez bien, c’est avec la plus grande attention que j’ai écouté Amélia nous donner des informations sur le sort qu’elle s’apprêtait à jeter.

— Nous avons réglé le début deux heures avant l’arrivée de Jake. Il se peut donc que vous assistiez à tout un tas de trucs ennuyeux qui n’auront rien à voir avec ce que nous cherchons. Si je le peux, j’essaierai d’accélérer le mouvement.

J’ai soudain eu une idée lumineuse. J’en étais aveuglée tant elle était brillante : j’allais demander à Amélia de venir à Bon Temps et de renouveler l’opération là-bas. Comme ça, je pourrais découvrir qui avait assassiné cette pauvre Magnolia. A cette perspective, je me suis tout de suite sentie mieux. Raison de plus pour persévérer. Concentre-toi sur l’instant présent, Sookie. Sur ce qui se passe ici et maintenant.

— Commençons ! s’est alors écriée Amélia, avant de réciter une formule en latin (enfin, j’imagine que c’était du latin).

J’ai entendu un faible écho lui répondre, tandis que les autres sorciers unissaient leurs voix à la sienne.

Au bout d’un moment, ce chant lancinant a commencé à devenir barbant. Comment la reine réagirait-elle si elle finissait par se lasser vraiment ? Mon ennui cédait la place à l’inquiétude quand ma cousine est entrée dans le salon.

Ça m’a fait un tel choc, que, sur le coup, j’ai bien failli lui parler. Il ne m’a pourtant pas fallu plus d’une seconde pour me rendre compte que ce n’était pas vraiment elle. C’étaient bien sa silhouette et sa façon de bouger, mais ce que je voyais n’était qu’une illusion sans véritable consistance. Ce n’était qu’un double décoloré. On aurait dit un lavis animé. Et puis, on pouvait voir la surface miroiter. J’ai pourtant examiné le fantôme de ma cousine avec avidité : ça faisait si longtemps qu’on ne s’était pas vues, Hadley et moi ! Elle avait l’air plus vieille, évidemment. Elle semblait plus dure aussi, avec ce petit pli sardonique au coin de la bouche et cette lueur sceptique dans les yeux.

Indifférente à la présence de ceux qui l’observaient, l’image de Hadley est allée s’asseoir sur la causeuse, a pris la télécommande et s’est tournée vers le poste de télé. Je n’ai pas pu m’empêcher de jeter un coup d’œil pour voir si quelque chose apparaissait à l’écran. Mais, bien sûr, il n’y avait rien.

Comme je sentais un mouvement à côté de moi, j’ai regardé discrètement vers la reine. Si j’avais reçu un choc, Sophie-Anne, elle, était littéralement électrisée. Je n’avais jamais vraiment cru à une histoire d’amour entre la reine et ma cousine. Là, pourtant, j’avais sous les yeux la preuve flagrante de cet attachement. Sophie-Anne avait réellement aimé Hadley.

On a regardé Hadley jeter de temps en temps un coup d’œil à la télé, tout en se faisant les ongles des pieds, en buvant un fantomatique verre de sang, en passant un coup de fil... On ne pouvait rien entendre. On pouvait seulement voir, et encore, dans une zone bien délimitée. L’objet qu’elle prenait ne se matérialisait qu’à l’instant où elle le touchait. On ne pouvait donc savoir ce qu’elle tenait que lorsqu’elle l’utilisait. Quand elle s’est penchée pour reposer le verre sur la table, on a pu voir simultanément le verre, la table avec tout ce qu’il y avait dessus et Hadley, le tout nimbé d’une même patine irisée. Et, pour encore accentuer l’étrangeté du phénomène, la table fantôme était superposée à la vraie, qui était presque à l’endroit où elle s’était trouvée ce soir-là.

Lorsque je me suis tournée vers André, j’ai découvert un môme médusé, aux yeux écarquillés. Moi qui n’avais vu de lui, jusqu’alors, qu’un visage poupin dénué de toute expression, cette fois, j’étais servie. Si la reine souffrait, si j’étais à la fois triste et captivée, André, lui, hallucinait complètement.

On a continué quelques minutes dans la même veine jusqu’à ce que Hadley tende brusquement l’oreille. On venait manifestement de frapper à sa porte (elle s’était tournée dans cette direction avec une réaction de surprise). Elle s’est levée - la causeuse fantôme, qui se trouvait peut-être à cinq centimètres de la vraie, s’est volatilisée – et a traversé pieds nus le couloir, passant à travers mes tennis bien rangées près du canapé.

Waouh ! Pour être bizarre, c’était bizarre. Bizarre, mais carrément fascinant.

Ceux qui étaient restés dans la cour avaient sans doute vu le visiteur se diriger vers l’escalier parce que j’avais entendu un des deux Bert pousser un juron sonore (Wybert, je crois). Hadley a ouvert la porte fantôme, et sur le seuil, j’ai vu Waldo (enfin, son double fantôme), un vampire qui était resté auprès de la reine durant des années. Albinos, d’une minceur telle qu’elle confinait à la maigreur, il avait, au cours des années qui avaient précédé sa mort, subi un terrible châtiment qui lui avait laissé la peau toute fripée. J’avais moi-même gardé, de la seule fois où je l’avais rencontré, avant son exécution, un souvenir absolument épouvantable. Cette apparence de spectre délavé l’avantageait plutôt, en fait.

Hadley a semblé étonnée de le voir. Puis, sur son visage, le dégoût a succédé à la surprise. Elle s’est néanmoins effacée pour le laisser entrer.

Quand elle est revenue vers la table pour reprendre son verre, Waldo a jeté un regard circulaire, comme pour s’assurer qu’elle était seule. La tentation de prévenir Hadley était si irrésistible qu’elle en devenait insoutenable.

Après avoir échangé quelques mots avec Waldo – qu’on était condamnés à deviner –, Hadley a haussé les épaules et a paru donner son accord à quelque mystérieux projet. Sans doute s’agissait-il de ce dont Waldo lui-même m’avait parlé, la nuit où il avait avoué son crime. Il m’avait dit que c’était Hadley qui avait eu l’idée d’aller au cimetière pour invoquer l’esprit de la reine vaudoue Marie Laveau. Mais, d’après la scène qui se déroulait sous nos yeux, il était clair que c’était Waldo qui avait suggéré cette excursion.

— Qu’est-ce qu’il a dans les mains ? a soudain demandé Amélia dans un murmure à peine audible.

Patsy a quitté le balcon pour aller vérifier.

— Une brochure sur Marie Laveau, a-t-elle lancé à Amélia.

Hadley a regardé sa montre avant de dire quelque chose à Waldo. Ça ne devait pas être très aimable, à en croire son expression et le petit coup de menton impérieux avec lequel elle lui montrait la porte. Si on n’avait pas le son, on avait l’image et, aussi clairement que son corps pouvait l’exprimer, il était évident qu’elle disait «non ».

Et pourtant, la nuit suivante, elle l’avait suivi. Qu’est-ce qui avait bien pu la faire changer d’avis ?

Hadley s’est rendue dans sa chambre. On lui a emboîté le pas. En jetant un regard en arrière, on a pu voir Waldo quitter l’appartement. Il a laissé sa brochure sur la petite table près de la porte en partant.

On faisait quand même un peu voyeurs, Amélia, la reine, André et moi, à regarder Hadley ôter son peignoir pour enfiler sa robe (très habillée, la robe).

— C’est la tenue qu’elle portait à la réception que nous avons donnée, la veille du mariage, a commenté la reine.

C’était une robe rouge brodée de paillettes d’un rouge plus sombre, très moulante et très décolletée, avec un dos nu qui arrivait à ras... à ras. Hadley la portait avec de superbes escarpins en croco. Elle avait visiblement décidé de montrer à la reine ce qu’elle perdait et de le lui faire amèrement regretter.

On l’a regardée se pomponner devant la glace, essayer deux coiffures différentes et longuement hésiter entre plusieurs rouges à lèvres. Le premier effet de nouveauté passé, j’aurais volontiers appuyé sur le bouton « avance rapide », mais la reine semblait ne pas se lasser de revoir sa bien-aimée.

Hadley tournait et se retournait devant son miroir en pied. Elle a enfin paru satisfaite de l’image qu’il lui renvoyait. Et puis, tout à coup, elle a fondu en larmes.

— Oh, ma chérie... a murmuré la reine. Je suis tellement navrée.

Je savais très exactement ce que Hadley éprouvait et, pour la première fois depuis des années, je me suis sentie proche de ma cousine. Dans cette reconstitution, l’action se déroulait la veille du mariage de la reine, et Hadley devait se rendre à une soirée où la reine et son fiancé allaient parader et jouer les petits couples devant toute la cour. Et la nuit suivante, elle allait devoir assister à la cérémonie nuptiale. C’était ce qu’elle croyait, du moins. Elle ne pouvait pas savoir qu’elle ne serait déjà plus de ce monde, ni même de l’autre : elle serait morte, définitivement morte.

— Quelqu’un vient ! nous a soudain lancé Bob.

Sa voix nous était parvenue par la porte-fenêtre ouverte, comme un effluve porté par le vent. Dans le monde fantomatique qui était le sien, la sonnerie de la porte a dû retentir, car Hadley s’est brusquement raidie. Elle a jeté un dernier coup d’œil à son image dans la glace (à travers nous, puisqu’on se trouvait juste devant) et a manifestement pris son courage à deux mains. Quand elle a remonté le couloir pour se diriger vers l’entrée, elle avait recouvré cette démarche au déhanchement suggestif qui lui était si familier, et son visage miroitant affichait un demi-sourire sans joie.

Elle a ouvert la porte et salué Jake Purifoy. Celui-ci portait un smoking et, comme Amélia me l’avait dit, il avait fière allure. Quand l’ectoplasme du loup-garou a franchi le seuil, j’ai jeté un coup d’œil en coin à la sorcière. Que de regrets dans la façon dont elle le regardait !

Jake n’était pas franchement ravi qu’on l’ait envoyé chercher la favorite de la reine, ça se voyait. Mais il était trop intelligent et trop courtois pour rejeter la faute sur Hadley. Il l’a patiemment attendue pendant qu’elle allait chercher son réticule et se donnait un dernier coup de peigne. Ils ont ensuite tous les deux franchi la porte.

— Ils descendent, nous a signalé Bob.

On est tous allés sur le balcon, Amélia, la reine, André et moi, pour regarder par-dessus la rambarde. Les deux spectres sont montés dans une voiture, laquelle a bientôt contourné le rond-point pour sortir de la cour. En passant sous le porche – limite au-delà de laquelle la magie cessait de faire effet –, elle a purement et simplement disparu, au nez et à la barbe des vampires regroupés à l’entrée. Visiblement impressionnés, Sigebert et Wybert ouvraient des yeux comme des soucoupes mais restaient stoïques. Fleur de Jade semblait bouder, et Rasul paraissait vaguement amusé, comme s’il pensait déjà aux bonnes histoires qu’il allait pouvoir raconter à son retour à ses copains gardes.

— Il est temps d’accélérer le mouvement, nous a alors annoncé Amélia.

Elle avait l’air fatiguée, à présent, et je me suis demandé si l’énergie qu’exigeait l’invocation d’un aussi puissant rituel ne dépassait pas ses capacités d’endurance. La tension n’était-elle pas trop forte pour une si jeune sorcière ?

Patsy, Terry, Bob et Amélia ont recommencé à psalmodier à l’unisson. S’il devait y avoir un maillon faible dans l’équipe, c’était assurément Terry. La petite sorcière latino transpirait abondamment et tremblait de tous ses membres, tant il lui fallait se concentrer pour soutenir sa partie de l’édifice magique. En la voyant à ce point défigurée par la violence de l’effort qu’elle s’imposait, j’ai commencé à m’inquiéter.

— Doucement ! Doucement ! a conseillé Amélia au même moment.

Sans doute avait-elle décelé les mêmes signes que moi : elle exhortait son équipe à lever le pied. Ils se sont alors tous remis à chanter. Terry semblait mieux réguler son effort. Elle n’avait plus cet air paniqué qui m’avait alarmée.

— On... ralentit... maintenant, a repris Amélia.

Leur chant s’est aussitôt affaibli.

La limousine a réapparu sous le porche, roulant cette fois à travers Sigebert, qui s’était avancé – pour mieux voir Terry, j’imagine. Le véhicule s’est arrêté brusquement, juste sous l’arche, moitié dans la cour, moitié dans la rue.

Hadley s’est ruée hors de la voiture. Elle pleurait à chaudes larmes, et, à en croire ses yeux rougis, ça faisait un bon moment que ça durait. Jake Purifoy est descendu à son tour et a posé les mains sur le bord de sa portière, pour s’adresser à Hadley par-dessus le toit de la limousine.

C’est alors que, pour la première fois, André, le garde du corps personnel de Sa Majesté, a pris la parole.

— Maintenant, ça suffit, Hadley ! Il faut que tu arrêtes de pleurnicher. Ça va finir par se voir. Le nouveau roi ne le tolérera pas. Il est du genre jaloux, tu sais. Il se moque bien de...

À ce moment-là, André a semblé perdre le fil de ce que disait Purifoy. Il a secoué la tête avec un petit « tss ! » d’agacement, puis a enchaîné :

— Il veut, avant tout, préserver les apparences.

Tous les regards s’étaient braqués sur André. Était-il médium ?

Mais le garde du corps de la reine se tournait déjà vers l’ectoplasme de Hadley.

— Mais, Jake, je ne peux pas le supporter ! a protesté cette dernière avec la voix d’André. Je sais qu’elle est obligée de le faire pour des raisons politiques, mais elle me renvoie ! Elle me met dehors ! Je ne peux pas supporter une chose pareille !

Alors, comme ça, André pouvait lire sur les lèvres ! Et ça marchait même avec un ectoplasme. Stupéfiant.

Il s’est retourné vers Jake.

— Monte te coucher, Hadley. Tu te sentiras mieux après t’être reposée. Si c’est pour faire une scène, tu n’assisteras pas au mariage. Tu sais à quel point ça embarrasserait la reine. Et puis, ça gâcherait la cérémonie. Mon boss me tuerait. C’est le plus important événement qu’on ait jamais organisé, tu sais.

Mais... il parlait de Quinn ! Purifoy était bel et bien l’employé disparu dont Quinn avait perdu la trace à La Nouvelle-Orléans.

— Je ne peux pas le supporter ! a répété Hadley.

Elle hurlait, ça crevait les yeux. Heureusement, André n’avait pas jugé utile de mettre le ton. C’était déjà assez effrayant comme ça de voir les mots de ma cousine sortir de sa bouche.

— J’ai fait quelque chose de terrible ! s’est alors écriée Hadley, avant de se précipiter dans l’escalier.

Un aveu aussi mélodramatique énoncé d’une voix aussi monocorde, ça faisait vraiment un drôle d’effet.

Réflexe conditionné, Terry s’est automatiquement écartée pour laisser passer ma cousine éplorée. Hadley a déverrouillé la porte (la vraie était déjà ouverte) et est entrée dans l’appartement comme une furie. On a tous reporté notre attention sur Jake. Le loup-garou a soupiré, s’est redressé et s’est éloigné de la voiture, qui a immédiatement disparu à nos yeux. D’un coup de pouce, il a ouvert son portable et pianoté un numéro de téléphone. Il a parlé moins d’une minute, sans attendre de réponse. On pouvait donc en déduire qu’il était tombé sur un répondeur.

De nouveau, André lui a prêté sa voix.

— Patron, il faut que je vous prévienne qu’il risque d’y avoir des problèmes. La petite amie ne sera pas capable de se contrôler le jour J.

Ô mon Dieu ! Dites-moi que ce n’est pas Quinn qui a fait tuer Hadley ! Ça me rendait malade rien que d’y penser. Mais l’idée n’avait pas germé dans mon esprit que, déjà, Jake se déplaçait vers l’arrière de la voiture. Comme il suivait, d’un geste caressant, la ligne du coffre, la limousine est brusquement réapparue sous ses doigts. Il se rapprochait du porche quand, soudain, une main s’est refermée sur son cou et l’a tiré en arrière. Hormis cette main, le reste du corps de l’agresseur était invisible, puisque en dehors du périmètre d’action du sort. Cette main sans corps, qui avait surgi de nulle part pour agripper le malheureux lycanthrope qui ne se doutait de rien, c’était à vous faire dresser les cheveux sur la tête. Digne des pires films d’épouvante.

Ça me rappelait ces rêves où vous voyez le danger approcher sans pouvoir avertir l’intéressé. De toute façon, aucun avertissement n’aurait pu empêcher ce qui s’était déjà passé. Mais on était tous sous le choc. Les frères Bert avaient crié, et Fleur de Jade avait dégainé son épée, sans que j’aie même eu le temps de la voir bouger. La reine, quant à elle, restait bouche bée.

À voir la façon dont ses pieds s’agitaient, il était clair que Jake se débattait. Puis, soudain, il s’est immobilisé.

Pétrifiés d’horreur, on s’est tous regardés en silence, y compris les sorciers, complètement déconcentrés... si déconcentrés que leur sort s’effilochait, laissant place à une sorte de brouillard qui commençait à envahir la cour.

— Allons ! s’est écriée Amélia. Remettez-vous au travail !

En un clin d’œil, la brume s’est levée. Mais les pieds de Jake demeuraient immobiles. Peu à peu, leurs contours devenaient flous. Jake était en train de se volatiliser, comme l’avaient fait avant lui tous les objets inanimés. Quelques secondes plus tard, ma cousine est sortie sur le balcon. Elle semblait à la fois alarmée et sur ses gardes. Elle avait probablement entendu quelque chose. Puis son expression a changé : elle avait vu le corps. Elle s’est aussitôt précipitée dans l’escalier, portée par la vitesse surhumaine des vampires. Elle a franchi le porche d’un bond, disparaissant à notre vue, avant de réapparaître aussitôt, tirant par les pieds le cadavre du lycanthrope. Comme cela s’était produit précédemment pour sa table ou son verre, le corps inerte s’était matérialisé à son contact. Une fois son fardeau ramené dans la cour, elle s’est penchée vers lui pour l’examiner. C’est comme ça qu’on a tous pu voir la plaie béante qu’il avait au cou. Beurk ! Un truc à vous soulever le cœur. Enfin, pour moi, parce que les vampires, eux, n’avaient pas l’air écœurés du tout, bien au contraire : ils paraissaient fascinés.

Hadley s’est redressée et a regardé autour d’elle comme si elle cherchait de l’aide, une aide qui ne viendrait jamais. Elle semblait en proie à un terrible dilemme. Ses doigts n’avaient pas quitté la gorge de Jake : elle cherchait un pouls.

Finalement, elle s’est de nouveau inclinée vers lui, comme pour lui murmurer quelque chose.

— C’est la seule solution, a dit André, lisant sur ses lèvres. Tu vas me détester, je sais, mais c’est le seul moyen.

Hadley s’est alors ouvert les veines sous nos yeux avec ses propres crocs, avant d’appuyer son poignet ensanglanté contre la bouche de Jake. On a tous vu le sang couler entre les lèvres blêmes, puis Jake a repris vie, assez du moins pour agripper Hadley par les bras et l’attirer à lui. Quand Hadley l’a obligé à la lâcher, elle avait l’air épuisée. Quant à Jake, il semblait en proie à de terribles convulsions.

— Loup-garou pas faire pon fampire, a commenté Sigebert. Chamais fu loup-garou fampire.

En tout cas, le malheureux Jake Purifoy ne semblait pas à la fête. En le voyant souffrir à ce point, j’en venais à lui pardonner les horreurs qu’il nous avait fait subir la veille, à Amélia et à moi. Ma cousine l’a soulevé et emmené chez elle. Là, je lui ai encore une fois emboîté le pas, Sophie-Anne derrière moi. On a regardé Hadley déshabiller Jake, plaquer successivement plusieurs serviettes contre son cou pour arrêter le sang, puis le cacher dans le placard, en prenant bien soin de le protéger d’un drap et de fermer la porte pour que la lumière du jour ne brûle pas le nouveau vampire qui devait rester ainsi, trois jours durant, allongé dans le noir, avant de revenir à la vie. Hadley a fourré les serviettes ensanglantées dans le panier à linge sale, puis en a coincé une autre sous la porte du placard pour s’assurer que Jake serait bien à l’abri.

Elle s’est ensuite assise dans le couloir pour réfléchir. Au bout d’un long moment, elle a pris son portable et a composé un numéro.

— Elle appelle Waldo, nous a annoncé André.

Quand les lèvres de Hadley ont recommencé à bouger, il a ajouté :

— Elle prend rendez-vous pour le lendemain soir. Elle dit qu’elle doit parler au spectre de Marie Laveau, s’il se manifeste. Elle dit qu’elle a besoin de conseils.

Après avoir échangé encore quelques mots avec son correspondant, Hadley a refermé son portable et s’est levée. Elle a rassemblé les vêtements déchirés et tachés de sang du lycanthrope et les a enfermés dans un sac en plastique.

— Tu devrais y mettre aussi les serviettes, n’ai-je pu m’empêcher de lui recommander dans un murmure.

Mais ma cousine a laissé les fameuses serviettes dans le panier à linge, où j’allais les trouver en arrivant chez elle. Elle a pris les clés de Jake, qu’elle avait récupérées dans la poche de son pantalon, a redescendu l’escalier, est montée dans la voiture et a démarré avec le sac-poubelle posé sur le siège passager.

La reine des vampires
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